Il y a quelques années, lors de ma spécialisation, j’étais de garde à la maternité de l’hôpital de Pikine quand, vers 1h du matin, le médecin de garde des urgences m’a fait appeler pour un avis médical.
Arrivé aux urgences, j’y ai trouvé une forte dame qui présentait des douleurs abdominales vives avec, selon l’examen de l’urgentiste, une tumeur abdominale géante. La dame elle-même était assez forte et l’échographie qui était en train d’être faite à mon arrivée, montrait justement une masse qui semblait vascularisée et avec des battements en son sein ainsi que des calcifications osseuses !?!?
J’ai donc commencé à interroger la patiente en lui demandant la date de ses dernières règles et elle répondit qu’elle ne les avait pas vu depuis son accouchement il ya 12 mois et que c’était à cause de l’allaitement maternelle qu’elle faisait.
L’examen physique était difficile à cause de l’obésité de la patiente mais on pouvait deviner une masse ovoïde occupant tout l’abdomen.
Au toucher vaginal, surpris, j’ai découvert…. une tête !!!!!
Je me suis alors écrié :
- MAIS MADAME VOUS ETES ENCEINTE! ? !
- Enceinte ? NON, je vous ai dit que j’allaitais et que quand j’allaite je ne vois pas mes règles donc je ne peux pas être enceinte me répondit-elle.
- Ah je suis désolé Mme mais vous vous êtes en train d’accoucher là !» poursuivais-je.
Le médecin de garde des urgences commenta : enceinte ?! accoucher ? attendez c’est quoi ces histoires ???
- hey oui cher ami ! lui dis-je, ta tumeur battante à l’échographie est en faite le cœur du fœtus, les calcifications aux alentours c’est la cage thoracique et tu ne vois pas la tête car elle est en train de sortir.
- mais ce n’est pas possible Dr, j’allaite….. poursuivait toujours la dame.
- Oui d’accord Mme, mais, poussez, poussez, ……voiiiila…
La dame venait de donner naissance à un beau gros bébé de 3450g bien portant (APGAR 9/10 pour mes amis pédiatres).
- Félicitations Mme, vous avez un garçon, me suis-je même permis de plaisanter à la patiente qui n’en croyait toujours pas ses oreilles et ses….yeux.
Les parents de la dame qui patientaient en salle d’attente étaient encore plus médusés lorsque la sage-femme est venue leur annoncer que leur parente venait d’accoucher. Evidemment, aucune disposition n’avait été prise pour le bébé surprise, ni habits, ni couches, ni rien !!!
Cette situation, qui se trouve en fait être un cas extrême de déni de grossesse, est évidemment assez rare, surtout si le déni est poussé jusqu’à l’accouchement.
Comment cela est-il possible ? Que s’est-il réellement passé ? Comment expliquer ce cas hallucinant de déni de grossesse ?
Médicalement, le déni de grossesse se définit par le fait d’être enceinte sans être consciente de l’être mais n’est pas encore accepté dans le tableau de classification des troubles mentaux.
Le déni est un terme utilisé en psychanalyse pour définir un mode de défense particulier dans lequel, le sujet refuse de reconnaître la réalité d’une situation traumatisante. Il serait donc un mécanisme de défense du psychisme de la femme enceinte mais qui ne voudrait pas du tout être enceinte. Dans certains cas extrême, la femme continue même à voir ses règles durant cette grossesse !!!!
Chez cette patiente en l’occurrence, elle était à sa 8ème grossesse et après la grossesse précédente, elle ne voulait (inconsciemment) plus avoir d’enfant. Cette grossesse serait donc insupportable, inadmissible.
Les rumeurs entourant la contraception et disant que l’on ne peut pas tomber enceinte quand on allaite, (précision : l’allaitement maternel est un moyen de contraception naturel à condition que ce soit un allaitement exclusivement au sein et il n’est valable que 6 mois, au delà, le cycle menstruel reprend ses droit et une grossesse est possible) ont aussi contribué à ancrer son déni.
Il existe 2 types de déni de grossesse :
- Le déni partiel où la grossesse n’est constatée par la femme que lorsqu’elle est avancée et évidente, généralement c’est l’entourage ou le médecin qui le révèle à la femme et, en quelques jours, les signes habituels de la grossesse apparaissent,
- Le déni total, comme notre cas de figure où la grossesse n’est constatée qu’au jour de l’accouchement
Le déni de grossesse peut toucher toutes les femmes en âge de procréer, même celles qui ont déjà eu des enfants, sans distinction de la classe socio-économique ou culturelle.
Le déni de grossesse est différent de la grossesse cachée où la femme a conscience de sa grossesse mais, pour des raisons qui lui sont propres, elle cherche à la dissimuler à son entourage.
A l’opposé du déni de grossesse on peut évoquer la grossesse nerveuse, situation dans laquelle, la femme désire tellement un enfant que son corps en exprime tous les symptômes alors qu’elle n’est pas enceinte.
Le problème majeur du déni est qu’il n’est pas médicalement reconnu comme une pathologie et les études sur le sujet sont assez rares. De ce fait, le déni de grossesse est plus souvent traité dans la rubrique des faits divers que dans celle sur la santé.
Je n’ai plus eu de nouvelles de cette patiente depuis lors mais, j’espère que son enfant à bien grandi depuis et qu’elle lui a donné toute l’affection qu’une mère peut porter à son enfant.
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