J’étais en mission à Louga pour les besoins d’une supervision post-formation.
Cette mission se déroulait pendant le ramadan et, avec mon collègue, nous logions dans les chambres d’accueil du centre de formation!
Nous étions à notre troisième jour de travail et vers 21h, la superviseure régionale avec qui nous faisions les tournées dans les centres de santé, avait envoyé le chauffeur pour qu’il nous livre le dîner qu’elle nous avait offert.
Cela tombait bien car nous en avions un peu marre de prendre des repas froids depuis plusieurs jours.
A son arrivée, je suis descendu de ma chambre au 1er étage pour aller récupérer le plateau!
Arrivé au parking, le chauffeur m’a remis un grand bol ovale enveloppé dans un torchon et d’où se dégageait le doux parfum d’un poulet rôti :-).
Ce bol était accompagné d’une grande carafe, probablement de jus, et d’une grande bouteille d’eau fraiche.
Ne voulant pas faire 2 allers-retours, j’ai pris toutes ces victuailles en les répartissant tant bien que mal entre mes 2 bras.
Après avoir gentiment décliné mon offre de venir partager avec nous la perspective d’un bon repas, le chauffeur est donc parti se reposer, me laissant lourdement chargé et prêt à parcourir les 50 m qui séparent le parking de nos chambres au 1er étage via un escalier mal éclairé.
J’ai donc pu parcourir délicatement la moitié du chemin sans trop de difficultés.
Au bas des escaliers, la tâche devenait plus délicate, donc je m’y engageais prudemment, comptant une à une les dix marches à faire pour arriver au palier. Après la dixième et dernière marche, mon pied droit butait contre une AUTRE marche!!!!!
Cette inattendue et surtout insoupçonnée onzième marche était là.
Tout naturellement, c’était le fameux « fakhastalou », prélude à une chute inévitable, fatale, renversante, dangereuse, douloureuse et surtout…. à éviter coûte que coûte!
La théorie de la relativité du temps s’applique avec force à ces moments. Les 2 à 3 secondes qui vous séparent de cette chute rapide, sont, en réalité, et tous ceux qui l’ont déjà expérimentée pourront le confirmer, perçues comme un long, très long moment de solitude durant lequel, des décisions importantes sont prises dans votre cerveau!
Pour ma part, le débat était cornélien:
– la chute inévitable était à éviter,
– ma tête allait sûrement se fracasser soit contre le plancher, soit contre le mur en face,
– mes bras chargés du bol, de la carafe et de la bouteille d’eau ne me permettaient pas de trouver un appui quelque-part pour rééquilibrer mon centre de gravité et avoir une chance d’éviter la chute…. à moins de lâcher tout!!
-le renversement du bol n’était pas envisageable.
En plus de me concentrer sur mon problème présent, je pensai aussi à ce que j’allais bien pouvoir expliquer à mon collègue qui m’attendait à l’étage, si jamais le bol et la carafe venaient à se renverser (par élimination, vous avez sûrement noté que la bouteille d’eau était d’emblée sacrifiée).
Si j’arrivais aussi à sauver le repas mais avec une plaie ouverte sur la tête ou la face, l’issue de la chute serait tout aussi…. inconcevable.
Je me re-concentrais donc sur mon atterrissage en urgence en cours, faisant les 2-3 petits pas destinés à élargir mon polygone de sustentation pour réduire la vitesse de la chute prochaine et surtout je cherchais, dans la pénombre, le point d’impact le plus acceptable ou au moins le moins fatal dans l’intérêt de tous.
Ces 2-3 secondes étaient vraiment très longues heureusement.
Finalement, le point d’impact choisi était le mur en face. La vitesse ayant été un peu réduite, j’ai choisi, au dernier moment, de tourner la tête à 45 degrés à droite, sacrifiant ainsi mon épaule gauche, qui heurta lourdement et douloureusement, le point d’impact choisi.
Victoire!!!! Le bol ne s’était pas renversé!!!
La carafe avait, tel le roseau, plié mais n’avait pas cédé!
Même la bouteille d’eau était intacte.
Jean de la Fontaine aurait été inspiré s’il avait été témoin de la scène.
J’ai donc pu me relever et continuer prudemment à marcher vers la chambre où je suis arrivé blessé mais victorieux. Le repas pris fût assurément plus délicieux que prévu, sûrement à cause du fait qu’il a été sauvé au péril de ma vie! 😉
PS:
Le lendemain matin, en descendant les escaliers, j’ai pu constater au niveau du palier qu’en fait, en vacillant, la carafe de jus avait laisser tomber quelques gouttes roses qui formaient sur le sol un joli schéma qui reproduisait très fidèlement ma belle chorégraphie nocturne de sauvetage de la veille et, pour ceux que cela intéresse, mon épaule va mieux merci! 🙂
Julesdado